Sous leurs casquettes de destination de vacances paradisiaques, les îles des Maldives font parler d’elles pour d’autres raisons que leurs eaux turquoises. Situé dans l’océan indien, au large du Sri Lanka et du Tamil Nadu (Inde), cet archipel volcanique de 1200 îles a fait du tourisme sa priorité et sa première ressource économique. Mais à quel prix ? Entre écocides, esclavagisme, corruption et perte d’identité, la carte postale s’est vite ternie tout en restant très attractive pour le million de touristes qui y pose le pied chaque année. Une clientèle très souvent fortunée qui préfère fermer les yeux sur la réalité pour profiter d’un paysage artificiel aux conséquences environnementales et sociales désastreuses.
Sur les 1200 iles de l’atoll, 200 sont habitées dont la moitié transformées en îles-hôtel. Les Maldives ont fait du tourisme, leur première ressource économique, avant la pêche.
La Baie d’Hanifaru est un incontournable pour les nageurs en quête d’expériences uniques. Cette zone protégée par l’UNESCO est encadrée par l’ONG MantaTrust qui veille à limiter le nombre de touristes dans l’eau, très nombreux à vouloir observer le spectacle grandiose des raies mantas qui y nagent par centaines, parfois accompagnées du géant requin baleine. Les mesures mises en places sont loin d’empêcher les marées humaines de snorklers tartinée à l’envie de crème solaire qui se nagent les uns sur les autres durant 45 min avant que les groupes suivants ne prennent le relai.
Esclavagisme insulaire
Direction l’île de Villivaru dans l’atoll le plus fréquenté et peuplé de l’archipel, Kaafu, où se trouve aussi la capitale. Dès la fin des années 50, de par leur isolement, les petites iles de Villivaru et Biyadhoo situées en face de Guraidhoo, ont été utilisées pour mettre en quarantaine les personnes atteintes de la lèpre, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes. C’est aujourd’hui un havre de biodiversité pour cet atoll qui ne compte plus aucune autre île sauvage. Mais l’île de Villivaru appartient à un milliardaire singapourien, achetée pour compléter les 250 resorts dejà existants dans le pays et dont les travaux ont été mis en attente depuis plusieurs années. Le propriétaire a embauché quatre travailleurs venus d’Inde et du Bangladesh pour garder l’île le temps que les travaux reprennent. Ils y sont enfermés, sans revenu ni passeport, depuis tellement de temps qu’ils ont mis en place une microéconomie de survie en vendant le matériel présent sur l’île aux habitants des îles voisines, allant des centaines d’extincteurs, aux cuvettes de toilettes, en passant par les coquillages ramassés sur la plage.
Pour lutter conte les injustices humaines et environnementales, des ONG émergent aux quatre coins des îles et tentent de se faire entendre par des politiques corrompues et une société désabusée. Afrah et sa femme Hamsha ont créé l’ONG Zero Wastes Maldives en 2019. Ils se battent au quotidien pour la réduction des déchets dont la gestion gouvernementale est très problématique. Humay, quand à elle, a fondé l’ONG Save Maldives pour contrer les grands écocides du pays. « L’arrivée du tourisme était positif au début et a permis de valoriser le pays. Le problème repose sur l’avidité et l’enrichissement des investisseurs et politiciens au détriment de tout le reste. Le pays est surendetté, pourtant il continue d’engager des travaux de récupération de terres sans avoir les finances pour construire des habitations pour la population locale. Le sable est soit dragué pour rien, les nouvelles terres laissées à l’abandon, soit vendu au secteur hôtelier. De nombreuses personnes nous contactent anonymement pour nous avertir de ce qu’il se passe sur leurs îles. Cela montre que beaucoup trouvent anormal ce qui se trame mais personne n’ose prendre la parole à nos côtés.» En effet, au cours du mandat d’Abdulla Yameen, de nombreux lanceurs d’alerte sur le système politique maldiviens se sont fait menacer ou exécuter.
Ces deux ONG font partie des rares à ne recevoir aucun soutien financier du secteur hôtelier. La majorité des ONG environnementales sont sponsorisées par les groupes hôteliers de luxe qui se servent de leurs actions pour obtenir des labels écoresponsables non vérifiés et qui attirent une clientèle soucieuse de se donner bonne conscience. Mes premiers échanges avec la manager du Centre de Biologie Marine d’un resort luxueux qui souhaite rester anonyme en témoignent. Leurs actions : accueillir la délocalisation de centaines de colonies de coraux pour laisser place à des travaux de réaménagement du territoire insulaire, les replanter avec les touristes, les entretenir, nettoyer les plages, faire de la médiation auprès de la clientèle. « Ce n’est pas du tout ce que je croyais que ce serait. On est en train de tout détruire. Les managers hôteliers réfléchissent à la manière d’augmenter les bénéfices dans les 50 prochaines années alors que dans 50 ans il n’y aura plus aucune île naturelle ici, tout aura été tué. On ne met que des petits pansements sur des plaies béantes. On a beau faire de la médiation pour une clientèle riche qui pourrait aider à changer les choses, tout le monde s’en fiche. 90 % du corail maldivien est mort. Je n’ai aucune foi en l’avenir ».
Grands projets inutiles
Délocaliser les coraux et leur restauration sont les arguments principaux des investisseurs étrangers pour rendre légaux les projets de «land reclamation».
Parmi les nombreux projets en cours, celui de Gulhifalhu, contracté par Boskalis pour pouvoir délocaliser le port industriel de Malé, fait parler de lui. Le gouvernement annonce ainsi connaître les conséquences environnementales du remblayage et du dragage de sable et propose comme solution miracle de délocaliser les coraux pour les implanter autour de trois resorts, privant les habitants du biotop originel. D’après Humay de Save Maldives et des biologistes qui travaillent à ses côtés, ces actions de délocalisation des coraux ne peuvent pas fonctionner et n’ont comme résultat que plus de destruction. Depuis juin 2020, 5000 colonies de corail ramifié et 2500 massifs de coraux ont été touchés, sans aucun rapport de réussite disponible. Pour ce projet faramineux, le gouvernement a annoncé avoir emprunté 101 millions d’euros à trois banques européennes pour financer la seconde partie des travaux. La « land reclamation » du projet coûte à elle seule 120 millions de dollars. Cela représente une dépense importante pour un état déjà surendetté dont la situation s’est aggravée avec la crise du Covid de 2020.
Parmi les autres grands projets engagés par le pays, on ne présente plus le Greater Malé Connectivity Project (GMCP). Son slogan : « A bridge for Prosperity ». Il prévoit de relier Malé, Villingili, Gulhifallu et Thilafushi par des ponts en béton subaquatique, dans la continuité de celui entre Malé et Hulumalé. Le projet est financé par l’entreprise indienne AFCONS à hauteur de 500 millions de dollars pour contrer l’influence de la Chine, même si le but annoncé officiellement est de désengorger la capitale (projet initial d’Hulumalé).
Ces partenariats étrangers sont au cœur des élections présidentielles 2023, opposant l’actuel Président Ibrahim Mohamed Solih, qui souhaite renouveler les relations du pays avec l’Inde, à Mohamed Muiz (PPM - Progressive Party of Maldives) qui prône un retour de la Chine comme investisseur principal. Des partenariats considérés indispensables par les politiques qui veulent assurer des travaux de développement du territoire alors que la dette du pays s’élève à 400 milliard de dollars à rembourser par an pour les 6 prochaines années, d’après l’économiste Ibrahim Atif Shakoor.
Dans les projets d’actualité on retrouve celui de la ville flottante « Tsunami proof », pensé par le cabinet d’architecte hollandais Waterstudio qui promet d’accueillir 20 000 habitants locaux dans des habitations « spacieuses, aérées et accessibles financièrement, avec balcon et vue sur mer », à l’opposé de la capitale située à moins de 10 minutes en bateau. La proposition est très alléchante. « We cannot stop the waves, but we can rise with them » (Nous ne pouvons pas arrêter les vagues mais nous pouvons nous élever avec elles). Cette nouvelle ville se veut aussi vertueuse en matière d’impact environnemental. L’ancien président Nasheed était fier d’annoncer que la construction de cette nouvelle ville futuriste ne nécessitera pas de dragage. Mais ce projet à un million de dollars qui doit prendre la forme d’un corail cerveau, ne fait aucunement mention de la manière dont les déchets seront récoltés et traités, ni sur l’approvisionnement en eau potable, une usine de dessalement, une station d’épuration ou un incinérateur ne pouvant fonctionner à 100% sur l’énergie solaire. Et les habitants ne sont pas dupes : « On nous affirme des logements accessibles mais on sait très bien qu’au final, tous ces logements seront réservés à l’industrie du tourisme ou à une population fortunée » témoignent la grande majorité des habitants interrogés à ce sujet. Depuis, le projet à évolué et un accord a été signé pour autoriser le dragage autour de la ville flottante.
La montagne des Maldives
On ne présente plus l’île poubelle des Maldives. Ce point culminant de l’archipel est entièrement constitué de déchets provenant des nombreux établissements hôteliers et des habitations de tout le pays. L’île avait été aménagée pour accueillir les déchets avant les années 60 et l’arrivée des touristes. Le projet initial était bien trop ambitieux et ne prenait pas en compte l’augmentation rapide de la population locale et étrangère. L’île s’est retrouvé sur-sollicitée, sans moyen de gestion fiable et efficace mis en place par les autorités locales et les investisseurs étrangers. Aucune mesure n’a été prise pour limiter la consommation d’emballages ni leur gestion, et le gouvernement ne semble toujours pas s’y intéresser. « Avec le tsunami de 2004, on a vu arriver une montagne de déchets sans comprendre ce qu’il y avait derrière. Seulement quatre personnes du villages ont compris que c’était une vague et qu’elle allait s’abattre sur l’île à tout moment », témoignent Ahmed et Rasheed, des habitants de Guraidhoo.
Même si le gouvernement et plusieurs entreprises locales ont fait du changement climatique une priorité avec un projet sur quatre ans (de 2009 à 2013), en partie financé par l’Union Européenne, aucune mesure locale ne voit le jour et les actions engagées par le gouvernement vont plutôt dans le sens opposé. Ce projet avait pour ambition de faire des Maldives « la première réserve de biosphère au monde ». Mais cette appellation n’est au service que d’une seule chose, l’économie touristique. Et ce, au détriment de toutes les espèces vivantes sur le territoire.